Quand une entreprise a besoin de capital pour grandir, il y a deux façons de l’obtenir : l’emprunt et les actions. Le financement par emprunt permet à l’entrepreneur de conserver la propriété de l’entreprise en remboursant à terme le capital et les intérêts. Le financement par actions implique des investisseurs qui mettent de l’argent dans la société en échange d’actions. Le capital sera alors remboursé en tant que part des bénéfices (un dividende) ou, plus communément, suite à la vente future des actions de la société.
Dans de rares cas, les entreprises n’ont pas besoin de capital car elles génèrent le revenu dont elles ont besoin pour grandir dès le premier jour. On les appelle des entreprises « auto-amorcées » ou « bootstrappées ». Translated, ma première startup, tombe dans cette catégorie. Dans le monde de la technologie, les entreprises auto-amorcées sont tellement rares qu’il est inutile d’en parler ici.
L’ancienne économie était basée sur la dette ; la nouvelle économie numérique utilise les actions. Apple, Microsoft, Oracle, eBay, Google, PayPal, YouTube, Facebook : la plupart des grandes réussites des 30 dernières années ont été rendues possibles grâce au financement par actions plutôt que par la dette. Plus précisément, elles sont nées grâce à une forme de capital appelée capital-risque. Contrairement au capital-investissement (par exemple), le capital-risque favorise les entreprises plus audacieuses et innovantes.
La raison en est simple : la technologie et l’innovation changent le monde à un rythme toujours plus rapide. Les fenêtres d’opportunité dans lesquelles un nouveau produit peut être lancé sont de plus en plus étroites. Pour réussir, il est donc devenu nécessaire d’augmenter le facteur risque et de tenter sa chance avec des idées qui n’ont pas encore été validées par le marché.
Dans cet environnement à haut risque, la dette ne peut être utilisée : les banques devraient fixer un taux d’intérêt prohibitif et les entrepreneurs, ressentant la pression de leur engagement à rembourser le capital, seraient contraints de prendre moins de risques. En capital-risque, l’investisseur accepte la possibilité de tout perdre en échange d’une chance relativement faible que l’entreprise devienne un énorme succès. Dans un exemple typique, un investisseur perd de l’argent dans 9 cas sur 10 et récupère 30 fois son investissement initial auprès de la 10e entreprise. Avec un investisseur qui est prêt à tout perdre, l’entrepreneur a la liberté de prendre des risques qui peuvent augmenter considérablement la valeur de l’entreprise.
Le capital-risque ne convient pas à tous les entrepreneurs. Au fil des ans, j’ai développé un test simple pour mieux comprendre quand l’utiliser :
Souhaitez-vous posséder 100 % d’une entreprise valant 100 millions plutôt que 10 % d’une entreprise valant 1 milliard ? Prenez votre temps pour y réfléchir. Si la réponse est 100 %, alors l’option qui vous rendra le plus heureux est le financement par emprunt. Si la réponse est de 10 %, alors le capital-risque est la bonne solution pour votre entreprise.
Les levées de fonds sont appelées pre-seed, seed, série A, série B, série C, et ainsi de suite jusqu’à ce que la société soit cotée en bourse. Connue sous le nom d’introduction en bourse, cette dernière étape n’est rien de plus qu’une levée de fonds dans un marché réglementé accessible aux petits épargnants. Une ICO est une offre publique basée sur une cryptomonnaie dans un marché actuellement non réglementé.
Bien que les entreprises et les marchés impliqués puissent varier énormément, la structure des levées de fonds est relativement standardisée. Pour la levée pre-seed, vous donnerez 10 % de la société pour lever environ 50 k€. Pour la levée seed, vous lèverez 500 k€ pour 20 %. Pour la levée série A, vous lèverez 2 M€ pour 20 %, puis 10 M€ pour 20 %, et ainsi de suite. Dans certains endroits, comme en Californie, le montant levé et les valorisations peuvent être jusqu’à trois fois plus élevés, tandis que dans d’autres, ils peuvent être de deux fois inférieurs. Cependant, selon les chiffres de Crunchbase pour 2017, c’est l’ordre de grandeur général en Europe.
Drew Houston, le fondateur de Dropbox, détenait 13 % de la société en 2017 après avoir levé environ 1 milliard de dollars en 10 ans. En 2017, Dropbox était valorisé à environ 10 milliards de dollars. Dropbox a levé 15 k$ dans la levée pre-seed à une valorisation d’environ 300 k$, puis 1,2 M$ à environ 10 M$, puis 6 M$ à environ 28 M$, et ainsi de suite jusqu’à 1 milliard de dollars… Les chiffres sont très similaires pour Airbnb, Facebook et bien d’autres.
Lever beaucoup d’argent avec une valorisation trop faible est peu susceptible d’assurer une bonne gouvernance et une motivation à long terme. Un fondateur qui sait qu’il finira avec 2 % de l’entreprise commence immédiatement à penser comme un manager plutôt que comme un entrepreneur. L’investisseur n’est pas un entrepreneur, et sans un entrepreneur, la probabilité de succès s’effondre. Les levées de fonds avec une valorisation trop élevée, quant à elles, suscitent de hautes attentes pour les prochaines levées : il est difficile d’amener les investisseurs à accepter un recul en matière de valorisation, et vous courez le risque de ne rien lever du tout.
Comment décidez-vous de la valeur d’une startup ?
En examinant des phases équivalentes, les meilleures entreprises du monde ont attiré un financement avec des valorisations comparables. Presque toutes les startups se tournent vers le marché pour lever des fonds avec des valorisations similaires (la valorisation typique pour la levée considérée) ; mais seules les meilleures réussissent. La sélection tourne donc autour de ceux qui parviennent à lever des fonds et ceux qui n’y arrivent pas, plutôt que de la valorisation elle-même. Les startups les plus performantes se démarquent parce qu’elles ont progressé à travers plusieurs levées avec une valorisation croissante, et non pas parce que leur valorisation dans chaque tour était beaucoup plus élevée que celle de leurs concurrents.
Beaucoup d’entrepreneurs font l’erreur de mesurer leur succès en fonction de la valorisation qu’ils obtiennent ou du capital qu’ils lèvent. Ils le font parce que ces chiffres sont souvent les seuls disponibles dans le domaine public. Lever des capitaux n’est rien de plus qu’un sacrifice nécessaire pour augmenter la probabilité de succès. Ce n’est pas une mesure de la réussite. De plus, la qualité d’une levée de fonds devrait être mesurée par les modalités et conditions d’investissement, qui ne sont presque jamais rendues publiques.
Pourquoi quelqu’un serait-il prêt à investir 100 k$ dans la levée pre-seed, valorisant votre idée à 1 M€, alors que vous n’avez pas encore d’activité qui génère un bénéfice ?
Personne ne le ferait. Les investisseurs ne valoriseront pas votre idée à 1 M€ lors de leur première évaluation. Ils attribueront une valeur prospective basée sur votre engagement à développer le projet, et ils demanderont la garantie qu’ils seront les premiers à récupérer leur investissement. Ils seront convaincus que votre engagement est l’élément critique nécessaire pour créer une entreprise de valeur, et que la garantie peut partiellement les protéger au cas où les choses tourneraient mal.
Les bons investisseurs ne demandent pas trop d’actions dans une startup. Ils savent que les fondateurs perdront progressivement la motivation et le contrôle dans les levées de fonds suivantes. Ce qu’ils font, c’est prendre une petite part et demander une protection en retour.
Les pactes d’actionnaires sont un moyen d’équilibrer l’équation. Ils permettent de diluer une petite partie de l’entreprise et d’injecter le capital nécessaire à la croissance. Les clauses principales de ce pacte sont appelées préférence de liquidation, tag-along et bad leaver. La préférence de liquidation agit comme une garantie que l’investisseur récupérera son capital avant que les fondateurs ne le fassent. En prenant l’exemple précédent, si l’entreprise est vendue moins de 1 M€, les investisseurs récupèrent toujours leur capital (100 k€). Dans le cas le plus extrême – dans lequel l’entreprise ne vaut rien - ils perdent tout. Si la valeur est supérieure à la valorisation de cette levée, chacun en profite proportionnellement à sa part. Une clause tag-along stipule que si un fondateur vend ses actions à un acheteur, les investisseurs ont le droit de vendre au même acheteur au prorata et au même prix. Par exemple, si vous trouvez un acheteur intéressé par vos 51 %, vous ne pouvez pas vendre et abandonner en quelque sorte votre investisseur. La troisième clause, appelée clause bad leaver, est un engagement des fondateurs. Si le fondateur abandonne sa startup dans un délai de 3 ans, il transférera proportionnellement la majeure partie de ses actions au reste des actionnaires.
Les investisseurs ne sont pas tous les mêmes, et c’est une bonne idée de ne choisir que les meilleurs pour une aventure qui peut durer de nombreuses années, et souvent des décennies. Je vous recommande de traiter l’investisseur comme un riche cofondateur plutôt que comme une banque. Voici un test facile pour identifier un bon investisseur : s’il demande plusieurs clauses supplémentaires en plus des trois déjà mentionnées, il s’agit probablement d’un mauvais investisseur. La raison en est simple : s’il a besoin de plus de protection, il est conscient qu’il a tendance à ne pas faire de bons investissements et il cherche à récupérer le plus possible sur des résultats médiocres au lieu de se concentrer sur des réussites. Il y a aussi des cas où l’investisseur est si prospère et si recherché que les fondateurs accepteront toutes les conditions pour le prendre à bord. Je ne connais quand même aucun investisseur prospère qui soit agressif quand il s’agit de faire accepter ses conditions – le contraire est plus souvent vrai. C’est en choisissant les meilleurs entrepreneurs et en les soutenant que l’on atteint le succès. Je ne pense pas qu’il soit possible pour un investisseur de réussir en limitant le succès des autres.
D’autres conditions telles que les droits de veto, les droits de drag-along, le contrôle des organes de management, etc. sont des signes avant-coureurs que vous devrez surveiller avant d’accepter un investissement.
Par contre, il est conseillé d’inclure ces 3 clauses de base, car leur absence (bien que possible) peut créer des tensions inutiles pendant et après. Lorsque j’ai levé du capital avec Memopal, j’ai négocié un accord pour ne pas offrir de préférence de liquidation et j’ai levé des fonds à des valorisations assez élevées. Lors de la vente, mon co-fondateur et moi-même étions parmi les rares à avoir gagné de l’argent dans le processus. Faire perdre de l’argent à des investisseurs n’a pas été une expérience agréable, et ne va certainement pas augmenter mes chances de lever des fonds auprès des mêmes investisseurs dans le futur. J’ai pu rembourser certaines personnes en utilisant mes profits, mais rétrospectivement, entre les impôts et certains équilibres compliqués développés avec le temps, il n’est jamais facile de régler les choses exactement comme vous le souhaitez.
Compte tenu du taux de réussite moyen des startups, un fondateur qui lève 2 M€ de capital avec une valorisation de 10 M€, une préférence de liquidation1 4x, des droits de veto et de drag-along, sera moins bien loti que celui qui lève un capital avec une valorisation de 1 à 5 M€, une préférence de liquidation de 1x et aucun droit de veto et de drag-along. Seuls les meilleurs fondateurs comprennent cela, et ils se concentrent sur les modalités et les conditions des pactes d’actionnaires.
Pour rendre la levée de fonds plus rapide et plus facile, le SAFE (Simple Agreement for Future Equity, accord simple pour les capitaux futurs) est largement utilisé en Californie et ailleurs. C’est une dette qui se convertit en actions avec un certain rabais et une certaine valorisation maximale au cours de la levée suivante. Le SAFE offre également aux investisseurs et aux entrepreneurs un contrat standard, sans avoir besoin de faire appel à un avocat. Le plus grand avantage du SAFE est qu’il est asynchrone et de haute résolution, ce qui signifie que vous pouvez négocier et signer des accords 1-à-1 avec des investisseurs sans distribuer un contrat que chacun doit signer, comme cela est nécessaire dans de nombreux pays. Le SAFE fonctionne bien lorsque la demande des investisseurs dépasse ce que la startup est capable d’offrir. Dans ces cas, les investisseurs ont tendance à vouloir obtenir une part de l’entreprise le plus rapidement possible, sacrifiant souvent de meilleures conditions dans le processus. La journée de démonstration de Y Combinator nous apporte un exemple de ce type d’accord. Lors de cette journée, la réduction typique est de 20 % avec un plafond de valorisation de 15 M$. Gardant à l’esprit que 50 %2 des startups n’effectueront pas de levée de série A dans les deux prochaines années et que leurs valorisations dans cette levée seront d’environ 30 M$, la décote de 20 % et le plafond de valorisation ne compensent pas le risque d’un investissement précoce. Par conséquent, sur les marchés les moins compétitifs, le SAFE n’est pas toujours accepté par les investisseurs, car des réductions beaucoup plus importantes qui le rendraient comparable aux fonds propres ne sont pas applicables. Je me demande aussi s’il ne vaudrait pas mieux passer quelques jours à identifier l’investisseur idéal plutôt que d’utiliser le SAFE pour conclure l’affaire rapidement. Le SAFE est très utile, mais je ferai toujours en sorte qu’il soit acceptable pour les investisseurs clés avant de l’utiliser. Personnellement, je m’en sers volontiers quand je veux m’assurer de sécuriser une partie du capital, et quand tous les autres investisseurs le préfèrent. Je l’évite quand j’ai plus de temps pour discuter avec le fondateur.
Une autre question clé lors de la levée de capitaux est de décider le montant à lever à chaque étape. Comme mentionné, le processus n’est pas infini et le marché est assez structuré. Les deux éléments qui doivent être équilibrés sont les suivants : lever le moins possible afin de diluer moins, et ne pas mettre en péril la startup. Sans oublier que les startups échouent pour une raison : elles manquent d’argent.
Les meilleurs fondateurs sont des leaders charismatiques qui guident non seulement leurs équipes, mais aussi les investisseurs. Ils le sont parce qu’ils ont à cœur de s’occuper des intérêts de tous ceux qui participent à l’aventure, et ils ressentent le poids de cette obligation sur leurs épaules. Leurs grandes qualités humaines, ainsi que leur connaissance des aspects techniques du financement, leur donne une vision claire et juste de l’avenir qui unit chacun.
1 4x indique que l'investisseur devra, en priorité, récupérer 400 % de son investissement.
2 CB Insights – The Venture Capital Funnel, Mattermark, Crunchbase.